Nous vous proposons de partager nos réflexions sur ce que devenir consultant peut signifier en termes de transformations professionnelles et personnelles. Ce questionnement est en grande partie le socle de la formation que nous avons créé il y 2 ans maintenant.
Bien des reconversions de l’entreprise vers le conseil se soldent par des réussites relatives voire des échecs. Ce phénomène ne peut s’expliquer uniquement par le talent ou l’appétence pour l’activité commerciale mais semble toucher un autre aspect des personnes, se situer au niveau des interactions, dans un espace quelque part entre la posture et l’identité professionnelles, l’image et les comportements.
Les personnes que nous avons observées sont dirigeants, spécialistes ou encore experts dans quelque domaine que ce soit, la finance, le journalisme, le digital, les ressources humaines, la médecine …
Dans leurs entreprises ou leurs organisations ces Dirigeants et spécialistes bénéficiaient d’une autorité et d’une légitimité qui se traduisaient le plus souvent par un titre qui ouvraient toutes les portes. Mais il en allait bien différemment lorsqu’ils deviennent consultants, les portes ne s’ouvrent plus aussi facilement et les questions de légitimité et d’autorité reprennent de la vigueur.
Nous aborderons quelques hypothèses explicatives avant d’en partager les conséquences pour ce type de transition professionnelle.
Parce que bien entendu, la question qui nous intéresse in fine, c’est bel et bien
« Comment le futur Consultant peut-il se préparer à créer cette précieuse légitimité qui lui confèrera l’autorité et la crédibilité nécessaires à la réussite de sa transition professionnelle ? ».
Consultant, un métier sans fonction
Pour aborder la question des enjeux de cette transition professionnelle, je vous propose un détour par la sociologie et par les réflexions de Philippe d’Iribarne, Polytechnicien, Ingénieur des mines et ancien directeur de recherche au CNRS, dont les travaux portent sur les racines sociales et culturelles des conduites et des institutions économiques. En 1989, il publie la logique de l’honneur avec le sous-titre, « gestion des entreprises et traditions nationales »
Que nous dit-il ? Qu’est ce que cette logique de l’honneur qu’il estime être à l’oeuvre dans les entreprises françaises et même dans la société française dans son ensemble.
Lui-même et son équipe sont aller observer, interviewer des représentants de tous les niveaux hiérarchiques d’une usine française et ses résultats peuvent être éclairant pour le sujet qui nous concerne.
Les devoirs de son état
En premier lieu, il souligne une caractéristique spécifiquement française, celle de l’auto-définition des responsabilités ou le « je me sens responsable » des salariés français » et nous pourrions dès cette première phrase, réagir par un « et c’est tout à leur honneur ! »
A titre d’exemple, un technicien répond aux questions du sociologue qui mène son enquête et expose sa conception de sa fonction, de ses responsabilités. Il déclare : « je n’hésiterais pas, instantanément de plonger l’usine dans le noir si j’estime que … Ça fait partie de mes fonctions en tant que technicien ».
Il apparaît ainsi qu’il existe dans les organisations, un système de représentations marqué par des « en tant que … » qui surdéterminent les actes, les attitudes et les comportements. Les membres des « en tant que » constituent des groupes spécifiques aux prérogatives et aux devoirs particuliers qui définissent et cadrent leurs actes et comportements. En retour, l’ensemble de ces devoirs et de ces privilèges caractérisent l’identité de chaque groupe.
Pour l’individu, tout se passe donc comme s’il s’agissait « d’accomplir les devoirs que la coutume fixe à la catégorie particulière à laquelle il ou elle appartient ». Cet aspect de notre rapport à la fonction se retrouve d’ailleurs dans des expressions du quotidien : « faire son travail », « faire correctement son boulot » ou encore « on a fait notre boulot ».
Il apparaît qu’un profond amour-propre s’attache à la pleine réalisation des devoirs de son état. Et en conséquence, cette exigence de conformité aux devoirs de son état induit un rapport très affectif à un travail auquel on s’identifie fortement, impliquant bien plus qu’un contrat de travail. Pour ce travail qui forme une partie plus ou moins importante de notre identité, nous nous sentons le plus souvent tenus de faire plus, au delà des comptes que nous avons à rendre.
Iribarne le souligne, Connaître son métier « ne veut pas seulement dire en connaître l’aspect technique mais aussi les finalités et les devoirs. Chaque métier, le sociologue dirait « chaque état » est marqué par « une conception exigeante des responsabilités que le seul fait de lui appartenir impose à ses membres » sans autre nécessité de recours à une quelconque autorité.
Et c’est bien là que se situe la logique de l’honneur puisque Iribarne renvoie à Montesquieu qui attribue l’honneur comme principe à une société d’ordres, qui au delà de la révolution est restée marquée par l’organisation en trois ordres, la noblesse, le clergé et le Tiers-état .
Pour Montesquieu, l’honneur, c’est « le préjugé de chaque personne et de chaque condition ». Ce préjugé, seule une tradition peut le fixer. Il concerne d’ailleurs moins ce que l’on doit aux autres que ce que l’on doit à soi-même ». Ce préjugé est un critère qui nous distingue de nos concitoyens ou de nos collègues et se trouve ainsi lié « à la fierté que l’on a de son rang et à la crainte d’en déchoir ».
Cette logique de l’honneur suppose donc privilèges et devoirs afférents à son rang, son état, sa catégorie, y renoncer, s’y dérober, est donc l’atteindre, en d’autres termes, c’est attenter à son honneur.
Les devoirs de son état existent pour soi et pour les autres
Ce qui est vrai pour l’individu l’est tout autant pour son environnement. Ainsi les membres des autres groupes se constituent une image plus ou moins précise des devoirs afférents à chaque groupe. Ainsi, nous pouvons entendre dans les couloirs ou dans les salles de réunion, « oui, enfin, il est DAF, c’est son boulot ». Cela pourrait être, elle est Directeure des Achats, DRH, Responsable de la production, des méthodes ou d’autres fonctions.
Parce que la logique de l’honneur irrigue l’ensemble des organisations, pour ne pas dire celle de la société et somme toute, nous y participons tous.
Cette logique qui détermine ce que nous faisons et comment nous considérons nos propres missions et responsabilités comme celles des autres, vient agiter nos expériences de transition professionnelle. Et notamment dans le cas d’un passage d’un métier à un autre, et dans le cas qui nous intéresse ce soir, lorsque l’on se dirige vers le métier du conseil après d’autres expériences professionnelles.
Les finalités et les devoirs des consultants ?
Devenir consultant, après une expérience en entreprise, c’est en quelque sorte quitter, un métier dont on connaît les privilèges, les finalités et les devoirs, quitter un état et le groupe qu’il constitue pour un autre bien différent.
- Au contour plus flou,
- Aux finalités et aux devoirs spécifiques.
Ce passage d’un état à un autre, d’un groupe constitué, intégré dans un corps plus vaste qu’est l’organisation, l’entreprise ou plus largement, le milieu professionnel, nécessite donc de repérer, d’intégrer tout un ensemble de finalités et devoirs spécifiques au métier de consultant, fonctionnant sur un autre mode, en dehors d’une structure hiérarchisée donnée ; parce que le consultant en quelque sorte est l’invité de l’entreprise, il ne peut espérer bénéficier des facilités et devoirs que la logique de l’honneur lui aurait conférer en tant que salarié.
En ce sens, il est bien question de se forger un nouvel honneur, une nouvelle identité professionnelle en référence à un nouveau groupe, un nouvel état, un nouveau métier et d’être en mesure de l’ajuster selon le statut dans lequel il est exercé et selon les clients chez qui l’on intervient.
Quels sont ces finalités et ses devoirs ? Bien entendu, ils varient selon les secteurs et les spécialités mais néanmoins nous pouvons repérer quelques « invariants » du métier :
On pourrait citer en premier, pourrait concerner la déontologie professionnelle, et au premier rang de celle-ci le devoir de confidentialité, la question parfois difficile de l’exclusivité et de sa déclinaison, la question des conflits d’intérêts.
Mais aussi et juste après, le devoir de respecter son client, celui de l’écouter, comme celui d’accepter ses spécificités et ses hésitations, en d’autres termes, le devoir d’accepter de ne plus être à sa place, de ne pas décider en son lieu et place.
Nous abordons là une des questions critiques du métier de consultant, celui de la posture, posture basse d’écoute et d’humilité et posture haute, de recommandations et de préconisations, tout est une question de souplesse et de moment.
En dernier lieu pour ce survol, le devoir de conseil et d’alerte qui renvoie à la capacité d’assumer les conseils et les préconisations faites à nos clients. En d’autres termes, il s’agit ici d’assumer la responsabilité de nos préconisations tout en respectant les spécificités de nos interlocuteurs.
Ces différents devoirs communs nécessitent donc une importante clarification du projet d’évolution vers le métier de consultant. Et c’est d’autant plus vrai pour le consultant indépendant qui ne peut tout à fait se référer à l’honneur du Cabinet pour lequel il travaille, ses expertises, ses méthodologies et ses usages.
Lui devra travailler à clarifier les devoirs communs dont nos un avons parlé mais aussi les devoirs spécifiques à son domaine d’expertise. Et en plus, préciser, clarifier les finalités de son métier, enfin de son métier, tel qu’il le conçoit.
En termes « modernes », dans le vocabulaire marketing usuel nous pourrions dire que le « devant consultant » se doit d’être au clair avec plusieurs éléments :
- Son offre et ce en quoi il souhaite contribuer pour ses clients
- Sa valeur ajoutée spécifique, c’est à dire ce que lui ou elle peut réaliser et qui lui est spécifique, particulier
- Les fondements, expériences et compétences sur lesquelles il ou elle construit son offre et qui constituent le socle de son expertise technique.
Ce travail de finalité s’inscrira de plus dans l’acquisition de compétences spécifiques comme celles de la rédaction de proposition, de rapport d’intervention, et même, le diable étant souvent dans le détail, de compétences de prise de parole en public, d’habilité avec notre ami PowerPoint ou encore de négociation et de gestion de projet.
Alors, certes le métier de consultant est souvent un métier sans fonction mais pour autant, il n’est pas un métier sans honneur, c’est à dire sans finalité, devoirs et privilèges, et c’est bien en cela qu’il demande à être pensé et réfléchi, que rejoindre l’état de consultant vaut bien de prendre le temps de s’y préparer.
Christine Jacquinot